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Comment réussir ses opérations de fusions-acquisitions en Amérique Latine


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Face à une économie nationale très mature et qui tourne au ralenti, les entreprises françaises trouvent à l’international des relais de croissance très significatifs. L’Amérique Latine est particulièrement attractive à cet égard. En plus d’être une région économiquement dynamique, elle offre, à quelques exceptions près, une stabilité politique et réglementaire propice aux investissements. Pour autant, la réussite d’opérations de fusions-acquisitions en Amérique Latine exige que l’aventure soit soigneusement planifiée et exécutée.

Des barrières à l’entrée ?

De manière générale, l’Amérique Latine est une région ouverte aux investissements directs étrangers. Pour autant, il est indispensable pour l’investisseur français de vérifier si l’opération envisagée est autorisée par le droit local afin d’adapter éventuellement sa structure. A ce titre, le Chili, la Colombie et le Pérou, qui font partie des pays les plus ouverts au monde, imposent très peu de restrictions à la détention par des étrangers du capital de sociétés locales. Au Chili par exemple, seul le secteur du transport de marchandises par voie maritime fait l’objet de restrictions, une société étrangère ne pouvant détenir plus de 49% du capital ou des droits de vote d’une société locale dans ce secteur. En Colombie, un étranger ne peut détenir plus de 40% du capital ou des droits de vote d’une société qui diffuse des programmes de télévision. L’ensemble des autres secteurs économiques est complètement ouvert à l’investissement étranger.

Au contraire, le Brésil et le Mexique imposent une majorité de capitaux nationaux dans un certain nombre de secteurs stratégiques. Au Brésil, des restrictions existent dans les secteurs de l’audiovisuel (à l’exception du câble), de la presse écrite, de l’aviation, ainsi que pour l’acquisition ou la location de terrains dans des zones rurales et côtières. Au Mexique, les principaux secteurs protégés sont le transport de marchandises, la gestion des ports, l’assurance, la diffusion de programmes de télévision, la presse papier ou encore l’éducation supérieure. Le pays a cependant largement assoupli sa législation au cours de l’année 2014, puisque le monopole de l’Etat en matière d’exploration et de production d’hydrocarbures et d’électricité a pris fin et que l’industrie des télécoms a été également largement libéralisée.Dans l’ensemble de la région, les marchés publics sont en général ouverts aux sociétés étrangères. Un point notable concerne le Brésil, qui applique une règle de préférence nationale selon laquelle les produits fabriqués au Brésil, les produits fabriqués par une société Brésilienne et les produits fabriqués par une société étrangère qui investit dans la recherche et la technologie au Brésil, bénéficient d’une marge de préférence dans le cadre des appels d’offre.

Les acteurs locaux

Du Mexique à l’Argentine, l’écosystème des entreprises est très similaire dans l’ensemble de la région. On y trouve, à coté de quelques grands conglomérats et sociétés cotées, une très large majorité de petites et moyennes entreprises familiales. A l’exception du Mexique et du Brésil, la présence des fonds d’investissement est encore limitée, même si elle est en croissance. Cette surreprésentation des sociétés familiales entrainent un certain nombre de conséquences, dont la principale est qu’à défaut d’anticipation, la négociation et l’exécution des transactions peut prendre un temps inhabituellement long. En effet, les vendeurs ou partenaires locaux ont en général peu ou pas d’expérience des opérations d’acquisition ou de joint-venture, au même titre que leurs conseils habituels. Par ailleurs, l’actionnariat et la gestion de ces sociétés sont parfois éclatés entre des membres de la famille ayant des intérêts divergents. Il convient donc de soigner tout particulièrement la relation avec le ou les vendeurs, en n’hésitant pas à aller à leur rencontre afin d’établir très en amont un climat de confiance. Si l’investisseur français doit s’assurer que son partenaire s’entoure de conseils juridiques et fiscaux expérimentés, il devra lui aussi veiller à l’indépendance et à la qualité de ses conseils locaux. A cet égard, l’intervention d’un avocat français ayant l’expérience de la région permettra d’apporter des garanties quant à la bonne gestion de l’opération.

La difficulté de valorisation de la cible

L’un des problèmes fréquemment rencontré par les acquéreurs étrangers réside dans la difficulté de valoriser les cibles. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. Tout d’abord, le reporting financier des sociétés locales, en en particulier des petites et moyennes entreprises familiales, est souvent déficient. Il n’est pas rare d’être confronté à une double comptabilité et à l’absence de commissaire aux comptes. L’existence de transactions non documentées renforce cette difficulté. A titre d’exemple, les conventions réglementées dans les sociétés familiales ne sont pas toujours conclues par le biais d’un contrat écrit. Enfin, les normes comptables locales utilisées par la cible sont parfois éloignées des normes IFRS. Au Brésil et au Mexique, les normes IFRS sont obligatoires dans les sociétés cotées et ont fortement influencées les normes comptables locales, au contraire de la Colombie, où les normes locales nécessitent un effort de rapprochement avec les normes IFRS. Afin de remédier à l’incertitude liée à la valorisation de la cible, il est recommandé de porter une attention toute particulière à la rédaction des clauses de prix dans les contrats d’acquisition. On recommandera, au-delà des clauses d’ajustement, de basculer une partie du prix sur des clauses d’earn-out, qui offrent un meilleur contrôle à l’acquéreur.

Des audits moins exhaustifs

L’expérience tend à montrer que les audits sont moins exhaustifs et plus longs en Amérique Latine qu’ils ne le sont en Europe. Si l’audit est perçu différemment sur un plan culturel, c’est surtout le manque d’organisation des cibles et l’absence de documentation de certaines transactions qui contribuent au manque de transparence. Face à un tel risque, il est recommandable à l’acquéreur de cibler, avec l’aide de ses conseils, les risques les plus significatifs en fonction du secteur d’activité de la cible et du pays concerné, afin d’obtenir sur ces sujets la plus grande transparence possible. Les risques les plus fréquemment évoqués sont la corruption, la responsabilité environnementale, le risque fiscal et les risques liés au droit du travail.

Les risques liés à la corruption

La corruption fait figure d’épouvantail, car à l’exception notable du Chili, les grands pays d’Amérique Latine restent mal classés dans les études internationales. Ce risque est particulièrement sensible dans les domaines de l’immobilier, de l’énergie, des infrastructures ou de la logistique. Pour de nombreux investisseurs français, le risque de responsabilité vient principalement du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) américain, dont le champs d’application est extraordinairement large, puisque qu’il suffit de détenir une filiale ou de réaliser des transactions aux Etats-Unis pour tomber sous le coup de cette loi. Mais il ne faut pas négliger pour autant l’impact des législations anti-corruption en vigueur dans les grand pays d’Amérique Latine, qui sont de plus en plus sévères, les autorités ayant pris conscience de la nécessité de lutter contre ce fléau. Au Mexique, l’arsenal législatif a été renforcé en 2012 par une loi sur la corruption dans le cadre des contrats publics. Cette loi, qui s’ajoute aux dispositions du code pénal, a cependant un champ d’application relativement limité puisqu’elle s’applique uniquement aux contrats conclus avec les autorités fédérales. En conséquence, si les appels d’offre les plus importants au niveau fédéral sont propres et transparents, les cas de corruption au niveau des autorités étatiques ou locales restent une réalité. Enfin, la responsabilité en droit mexicain est limitée à la personne ou société (mexicaine ou étrangère) ayant participé directement aux actes de corruption et le montant maximum des amendes est bien en dessous de ce qui est pratiqué aux Etats-Unis. Quant au Brésil, il a renforcé sa législation anti-corruption en 2014 avec une loi particulièrement sévère. Cette loi, d’application générale, prévoit entre autre des sanctions à hauteur de 20% du chiffre d’affaires de la société concernée, ainsi qu’une responsabilité solidaire des sociétés affiliées et de l’ensemble des membres d’un consortium ayant conclu un contrat public.

Les risques liés à des actes de corruption commis par la cible ou le partenaire local nécessitent en premier lieu de dédier le temps et les ressources nécessaires à la réalisation d’un audit très approfondi. Si cet audit met à jour des actes de corruption présumés, l’investisseur pourra choisir de renoncer à l’opération. L’alternative est de dénoncer les pratiques passées aux autorités, conjointement avec la cible ou le partenaire, afin d’obtenir que la responsabilité soit circonscrite à la cible et que son montant soit réduit. Aux Etats-Unis, la conclusion d’un non-prosecution agreement avec les autorités, assorti de la mise en place de programmes de compliance, peut permettre d’atteindre cet objectif. Certains pays d’Amérique Latine, comme le Brésil, fonctionne sur un modèle relativement similaire.

En tout état de cause, quel que soient les résultats de l’audit, il est recommandable d’éduquer les managers et salariés de la cible en mettant en place, après la réalisation de l’opération, des programmes de monitoring visant à réduire le risque que des actes de corruption soient perpétrés à l’avenir et à démontrer aux autorités la bonne foi de l’acquéreur. A travers l’Amérique Latine, les entreprises locales et leurs managers sont de plus en plus sensibles et réceptifs à de telles pratiques.

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