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Private equity et gouvernance : un mariage de raison


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Emmanuel Parmentier, Indéfi

Les investisseurs dans les fonds de private equity (LPs) expriment des demandes toujours plus exigeantes vis-à-vis de leurs gérants (GPs) concernant les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de leur gestion. Tour d'horizon de ces enjeux au coeur du débat.

Au sein de ce sigle, le G de Gouvernance est souvent pris pour un acquis par les LPs et les GPs. La gouvernance ne fait-elle pas partie intégrante du métier de gérant de private equity ? Pour autant, la pratique actuelle de la gouvernance des acteurs du private equity n’est-elle pas trop restreinte ? Mais quels sont les enjeux de la pratique d’une « bonne gouvernance » en private equity, telle que celle-ci ressort des Principes pour l’investissement responsable de l’ONU (UNPRI).

Gouvernance et private equity : une notion plus large qu’il n’y parait

La gouvernance des entreprises est traditionnellement définie comme le système de direction et de contrôle des entreprises. Au cœur de ce système se trouve le réseau de relations tissées entre la direction de l’entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et ses autres parties prenantes[1].

Appliquée au private equity, cette définition fait apparaître le caractère multidimensionnel de la gouvernance. Il ne s’agit pas seulement d’appliquer les principes de bonne gouvernance au niveau des participations mais également de s’interroger sur les relations entre GPs et LPs et au niveau des GPs eux-mêmes.

Les trois premiers principes des UNPRI[2] le rappellent:

  • « Nous prendrons en compte les questions ESG dans les processus d’analyse et de décision en matière d’investissements ». Les LPs se doivent d’analyser les pratiques de gouvernance des GPs avant d’investir dans un fonds.
  • « Nous serons des investisseurs actifs et prendrons en compte les questions ESG dans nos politiques et pratiques d’actionnaires ». Les GPs sont par conséquent censés inciter leurs participations à adopter de meilleures règles de gouvernance.
  • « Nous demanderons aux entités dans lesquelles nous investissons de publier des informations appropriées sur les questions ESG ». Les LPs attendent des GPs qu’ils produisent des reportings explicitant leurs pratiques de gouvernance au niveau de leurs participations mais également à celui de leur propre société de gestion.

Dans ce contexte, la notion de gouvernance en private equity doit être analysée à quatre niveaux :

  1. Les relations entre les GPs et les LPs
  2. Les pratiques de gouvernance au sein des sociétés de gestion
  3. Les relations entre les GPs et leurs participations
  4. Enfin, la gouvernance au sein des participations, notion la plus traditionnellement étudiée sur laquelle nous reviendrons brièvement

Les nouveaux enjeux des relations LPs-GPs dans un contexte de contrôle accru sur les dimensions ESG

Depuis le début de la crise financière et économique de 2007-2008, une défiance s’est installée entre les investisseurs et la classe d’actifs private equity. Les institutions se détournent de cette dernière ou réduisent leur exposition, sous la double contrainte réglementaire et de recherche de liquidité, mais également car ils réprouvent certaines pratiques des années pré-crise (rémunération des gérants jugée excessive, effet de levier considéré comme trop important, etc.) Le rapport de force LPs-GPs se rééquilibre ainsi depuis 2008 au profit des premiers et a notamment pour conséquence l’exigence d’une plus grande transparence des seconds.

Un symptôme de ce rééquilibrage est la demande de reporting de plus en plus précis et étendu sur des aspects extra-financiers, en particulier pour les investisseurs ayant signé les UNPRI. A minima, les exigences des LPs portent sur l’intégration d’une grille d’analyse ESG des entreprises en portefeuille dans le reporting global de la performance du fonds. Les LPs les plus avancés exigent un reporting dédié, selon une grille de critères spécifiques, que la société de gestion est invitée à remplir annuellement.

Au-delà du reporting ESG, c’est la nature des relations entre les GPs et leurs investisseurs qui est en cours de refonte. Les sociétés de gestion pourraient par exemple s’inspirer de leurs cousins de la gestion d’actifs cotés qui ont, depuis longtemps, pris des mesures dans ce sens (créations d’équipes de relations investisseurs, newsletters, organisation de rencontres fréquentes avec les investisseurs, voire pour certaines la publication d’un rapport annuel ESG).

L’organisation des pouvoirs au sein de la société de gestion : un enjeu clé pour assurer la pérennité des équipes

Un deuxième enjeu de gouvernance en private equity concerne les sociétés de gestion elles-mêmes. La plupart d’entre elles sont des entreprises de taille relativement modeste (quelques dizaines de salariés) et font face aux mêmes défis de gouvernance que la plupart des PME dans lesquels elles investissent, en particulier la forte dépendance à leurs dirigeants et fondateurs.

L’amélioration de la gouvernance au sein des sociétés de gestion est dans l’intérêt des GPs, dans la mesure où elle permet de rassurer les LPs sur la pérennité des prestataires à qui ils confient leurs fonds. De surcroit, une bonne gouvernance représente un gage de stabilité des équipes, élément clé dans le processus de sélection d’un gérant. Les pistes d’amélioration suivies par les équipes en pointe sur ces sujets portent sur la constitution d’organes de direction, la diffusion de l’actionnariat au niveau de la société de gestion et/ou de l’accès au carried interest ou encore du meilleur respect des critères ESG au sens large.

Les rapports entre GPs et participations : comment assumer sa position d’actionnaire ?

Le « modèle » sur lequel est fondé le private equity est parfois contesté juridiquement en France[3]. Bien que rarement explicitement défini, ce modèle repose généralement sur la constitution pour chaque opération d’une holding de reprise gérée par le diptyque Directoire / Conseil de Surveillance. Dans ce cadre, les sociétés de gestion peuvent être amenées à outrepasser le rôle traditionnellement dévolu au Conseil de Surveillance et pourraient être assimilées à des « gérants de fait » de l’entreprise. Il n’est pas anodin qu’un argument de « vente » de ces dernières auprès des LPs soit une approche « hands on » dans le processus de création de valeur et donc proche de l’immixtion dans la gestion de l’entreprise. En attestent les clauses des statuts ou des pactes d’associés (veto sur certaines décisions d’investissement ou sur des recrutements, obligation d’information, non concurrence, etc.) Les conséquences d’un éventuel jugement qui validerait cette argumentation seraient d’assimiler la société de gestion à une holding de groupe, et les participations à ses filiales. Les syndicats pourraient alors réclamer l’union économique et sociale ou demander à ce que les salariés licenciés pour raison économique dans une participation soient reclassés dans une autre participation.

Ce discours est évidemment rejeté par les sociétés de gestion. Mais une des argumentations utilisée pour leur défense, bien que fondée juridiquement, soulève un certain nombre de questions. Il s’agit en effet d’affirmer que la société de gestion et ses participations ne constituent pas un groupe au sens de la loi française car celle-ci ne dispose ni du capital des participations (qui appartient au fonds) ni des droits de vote (elle a seulement un mandat des LPs pour exercer ces droits de vote). En clair, la société de gestion n’est pas responsable, c’est le fonds qui l’est, et ce dernier, n’étant pas une société, ne peut être considéré comme animant un groupe au sens de la loi française.

On voit là une contradiction fondamentale entre la pratique des GPs, faisant de leur implication dans les participations un argument commercial, et la déresponsabilisation juridique mise en avant. La société de gestion est-elle un « actionnaire » ? Et si oui, quel sens donner à cet actionnariat, et quels sont les droits et devoirs qu’y s’y rattachent ?

La gouvernance dans les participations : une condition de la performance du fonds

Le dernier aspect de la gouvernance au sein du private equity concerne la gouvernance d’entreprise au sens classique du terme, au niveau des participations. La littérature académique tend à démontrer l’existence de relations entre la performance financière et la bonne gouvernance des entreprises. Ce constat est d’autant plus vrai dans le private equity, où une entreprise bien gérée et qui assure des niveaux de reportings aux meilleurs standards sera perçue comme moins risquée car moins dépendante de son équipe dirigeante historique, et plus facile à céder. Le suivi d’une bonne gouvernance représente un des axes de création de valeur, en particulier dans le cadre d’opérations de capital-développement.

Reste à savoir quelles sont ces « bonnes pratiques » de gouvernance. Les recommandations traditionnelles sont en général conçues pour les grandes entreprises cotées. L’enjeu de leur adaptation à des PME nécessite souvent des approches sur mesure, à la portée des GPs qui souhaitent s’investir dans ce champ de la gouvernance, en s’inspirant des recommandations des organismes de la profession (IFA, Ecoda, MiddleNext, etc.)

[1] Livre vert de la Commission Européenne « Le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’UE ».

[2] Cette initiative, lancée en 2005 par Kofi Annan regroupe aujourd’hui près de 1 000 signataires au niveau mondial. En France, une trentaine de gérants de private equity les ont signés. www.unpri.org

[3] CF News s’en faisait récemment l’écho lors d’un petit déjeuner-débat avec les associés du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre. Lire aussi :

Sociétés sous LBO : un modèle de gouvernance à réinventer ?(20/1/2012)

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