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Covid-19 : Comment les fonds font-ils face?


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© CFNEWS.net

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Face à une pandémie mondiale s'amplifiant de semaine en semaine, les fonds d'investissement ont dû réagir en mettant en place diverses actions pour que leurs sociétés en portefeuille résistent au mieux. Tour d'horizon des différentes pratiques dans l'Hexagone.

Nicolas de Saint Etienne, NextStage AM

Nicolas de Saint Etienne, NextStage AM

Maj du 24/04/2020 - Le monde entier s'accorde à dire que la crise sanitaire liée au Covid-19 est inédite. De plus, son impact réel sur l'économie ne sera connu que dans quelques mois. Euler Hermes, l'un des principaux acteurs de l’assurance-crédit indique que la France entrera, cette année, en récession économique avec une croissance du PIB négative de 1,3% (contre une hausse de 1,3% en 2019). Dans ce contexte sans précédent, l'ensemble des acteurs du capital investissement se mobilisent à la fois pour eux-mêmes, mais principalement pour les sociétés de leur portefeuille. « Étant un investisseur spécialisé, notamment, dans le tourisme, nous avons pu identifier très en amont, dès les premiers signes de tension en Chine, les futures conséquences de cette crise sanitaire sur nos métiers et donc préparer au mieux les managers que nous accompagnons. Nos pôles fonctionnels (finance, communication, RH…) ont tous été mobilisés », indique Jean-Marc Scéo, président d'Ekkio Capital. Nicolas de Saint Etienne, associé de NextStage AM explique, également : « Avant les mesures de confinement, NextStage a identifié trois principaux risques affectant son portefeuille de participations : risque de trésorerie (besoin de financement potentiellement nécessaire), risque lié au confinement (outil de production et/ou points de vente B2C ou sites ouverts au public fermés), risque de rupture de la chaîne logistique (liens directs avec les acteurs / fournisseurs dont l’activité est arrêtée). Il s'est avéré que la plupart des sociétés ont été, par la suite, exposées à au moins un risque ».

Un état des lieux

Nicolas Réquillart, CDO de Siparex

Nicolas Réquillart, CDO de Siparex

Les mesures de confinement annoncées par le président Macron, le 12 mars dernier, ont précipité les choses pour les fonds. « Alors que la situation se dégradait de jour en jour, nous avons accompagné nos entreprises dans la prise de décisions immédiates le plus souvent opérationnelles pour préserver la santé des salariés ainsi que leur trésorerie, explique Emmanuel Laillier, directeur du private equity au sein de Tikehau Capital. Même chose chez la holding d'investissement HLD. « Dès l'annonce du confinement, nous avons travaillé avec l'ensemble des managers de l'ensemble de notre portefeuille pour préparer un plan d'adaptation à court terme. Ce plan a été calibré en fonction de l'impact (positif, négatif, modéré) de la crise sanitaire », explique Jean-Bernard Lafonta, associé co-fondateur. Chez ACE Management, filiale de Tikehau Capital spécialisé dans l'aéronautique, la défense et la cyber-sécurité, on a affublé d’un drapeau rouge, jaune ou vert les trente entreprises du portefeuille selon la visibilité dont elles disposaient en terme de cash, les incidences vraisemblables de la crise sur la croissance des revenus et leur capacité opérationnelle à faire face. Avec pour objectif d’organiser une revue du portefeuille différenciée (tous les deux jours pour les rouges, toute les semaines pour les jaunes, toutes les deux semaines pour les verts) et dans la perspective d’éloigner chaque société de la zone de danger. Ensuite, que l’on soit dans le small, le mid ou le large cap, on a passé (et on passe encore) a priori beaucoup de temps « avec » les dirigeants. « Dès le 12 mars, alors que de premières mesures étaient évoquées, nous avons identifié un risque majeur de rumeurs et fake news, raconte Nicolas Requillart, en charge de l’operating team de Siparex. Nous avons alors souhaité apporter un soutien pragmatique aux dirigeants en éditant un guide qui présente une synthèse-vérifiée- des mesures et actualisé deux fois par jour. En parallèle une hotline a été mise en place pour l’accompagnement juridique, fiscal… ». Dans ce contexte inédit, l’information (à condition qu’elle soit fiable) a revêtu toute sa valeur stratégique. « Les dirigeants ont le nez dans le guidon. Notre job, c’est à la fois de leur fournir la bonne information et des les aider à construire une vision », estime Angèle Faugier, associée de Naxicap Partners.

Des actions multiples

Fanny Picard, Alter Equity

Fanny Picard, Alter Equity

Pour atténuer les effets de cette crise, les fonds mettent en place un panel diversifié d'actions. « Après une revue ligne par ligne, la priorité a été donnée à la baisse des coûts dans les entreprises par le biais du chômage partiel et des plans d'économie sur tous les frais, hors personnel » énonce Jean-Marc Scéo. Les fonds sont, également, à l'initiative. Serena Capital a mis en place, la semaine dernière, un simulateur de chômage partiel, largement utilisé par ses confrères. « Notre dispositif comprend deux dimensions : nous avons tout de suite lancé un fil Whatsapp sur lequel nous adressons en temps réel à nos participations une explication à la fois ultra synthétique et pratique des soutiens gouvernementaux (notamment report des charges sociales et fiscales et activation du chômage partiel) et des mécanismes de financements par les banques et Bpifrance. Nous avons invité une avocate sur ce fil, qui professionnalise son contenu. En outre, nous organisons deux fois par semaine, une vidéo-conférence au cours de laquelle nous présentons l'actualité concernant les aides puis répondons aux questions de nos participations avec l'aide de cette même avocate. Ces vidéo-conférences permettent aussi un échange de best practice entre les dirigeants», explique Fanny Picard, associée d'Alter Equity.

Une solidarité entre participations

Olivier Golder, Siparex

Olivier Golder, Siparex

L’enjeu, pour toutes les entreprises, était de pouvoir rapidement recourir aux mesures idoines, de chômage partiel notamment. Étant entendu que l’exercice s’est révélé parfois compliqué. « Il existe un gap entre les annonces et leur mise en œuvre », s’accordent à dire les professionnels qui, pour certains, s’alarment du « manque d’anticipation » quand d’autres préfèrent souligner « l’impulsion essentielle de l’État » et le rôle de Bpifrance. « Une fois établis l’état des lieux, l’analyse des enjeux, les prévisionnels de trésorerie, le diagnostic des difficultés, nous avons deux objectifs : apporter des solutions de court terme pour passer le cap et… anticiper la reprise », résume Olivier Golder, directeur chez Siparex. La solidarité joue, également, entre les différentes participations. « Nous avons mis en relation les entreprises qui avaient des masques et du gel hydroalcoolique avec celles qui en avaient besoin, raconte Angèle Faugier. De même que nous avons fait en sorte d’un groupe d’Ehpad dans lequel nous sommes actionnaires obtiennent rapidement auprès d’une de nos lignes les mobil-homes dont il avait besoin. » Chez Siparex, on a pris le parti d’identifier et de valoriser les initiatives solidaires de certaines start-up qui se mobilisent comme Royal Mer qui a reconverti son outil de production pour fabriquer des masques, Microdon qui contribue à la livraison de paniers solidaires ou encore Ouihelp qui cherche à libérer des lits d’hôpitaux en mobilisant des soignants auprès des personnes les plus fragiles. Entre autres.

La trésorerie scrutée jour après jour

Emmanuel Laillier, Tikehau Capital

Emmanuel Laillier, Tikehau Capital

La question du financement est centrale pour les investisseurs. « Un état des lieux a été effectué sur l'ensemble de notre portefeuille par rapport à leur situation de trésorerie. Cette dernière est, notamment, évaluée en fonction de différents scénarios de poursuite de l'activité avec les annonces du gouvernement », explique Emmanuel Laillier. Jean-Marc Scéo ajoute que cette semaine et dans les semaines à venir, la problématique principale est celle du financement opérationnel. « Des discussions avec les banques sont en cours sur nos participations afin d'obtenir des lignes supplémentaires et préserver la trésorerie disponible ». Les investisseurs sont en première ligne pour épauler les managers qu'ils accompagnent dans le choix des financements. « Nous conseillons à nos sociétés en portefeuille de faire appel à tous les moyens de financement supplémentaires, proposés ou garantis par Bpifrance : prêts Rebond, prêt Atout et prêts par les banques garantis par l'Etat, car dans l'environnement incertain actuel, notre conseil numéro un est de sécuriser la position de trésorerie », analyse Fanny Picard. Il n'y a pas que les dirigeants des sociétés à rassurer. Les LP's sont, également, attentifs à la situation. « Une communication a été faite auprès de nos investisseurs à propos de l'état des lieux de notre portefeuille et de la gestion de leur propre trésorerie par le biais des appels de fonds. Ils veulent, aussi, savoir comment seront faites les évaluations du portefeuille au 31 mars prochain », précise Emmanuel Laillier.

Un contexte tendu inter-entreprises

Guillaume Benhamou, ACE Capital Partners

Guillaume Benhamou, ACE Capital Partners

Dans certains secteurs, jugés « essentiels », l’activité se poursuit et il a fallu s’adapter à la situation. Avec une certaine souplesse parfois, comme dans l’aéronautique où on a dû composer avec le stop & go d’Airbus qui a d’abord fermé ses usines avant de les rouvrir. « Nous avons effectué une revue des feedbacks de tous nos contacts dans le secteur pour permettre aux sociétés du portefeuille de comprendre la dynamique des grands donneurs d’ordres » explique Guillaume Benhamou, managing partner chez ACE Management. Pour d’autres, la situation se complique du fait des crédits inter-entreprises interrompus ou encore « de grands comptes qui bloquent leurs paiements et occasionnent de gros problèmes de trésoreries dans les PME », s’emporte Anthony Dubut, directeur associé d’Innovafonds. Mais après avoir joué les « pompiers » auprès des entreprises, les financiers abordent une nouvelle phase à leurs côtés. « Si la gestion reste tactique, elle est un peu plus long termiste, analyse Guillaume Benhamou. La phase actuelle est celle de la réflexion pour préserver la valeur. Les dirigeants gèrent le temps de travail de leurs salariés, dialoguent avec leurs clients… dans un environnement très tendu. Notre rôle, sans les polluer, c’est de leur permettre de prendre des décisions sans perdre de vue le redémarrage. »

Plusieurs scénarios de sortie de crise

Jean-Marc Scéo, Ekkio Capital

Jean-Marc Scéo, Ekkio Capital

Selon toute vraisemblance, la crise ne devrait pas durer éternellement. « Notre scénario central se base sur 45 jours minimum de confinement plus 1 mois de remise en place. La reprise d'activité variera beaucoup selon les secteurs et notamment ceux dépendant des périodes de l'année. Un effet de rattrapage pourra avoir lieu », annonce Nicolas de Saint Etienne. Cette crise sanitaire va bouleverser plusieurs pans d'activité. « Le paysage concurrentiel va être amené à évoluer, une fois la pandémie enrayée. Nous le voyons notamment avec Paris Experience Group, l'un des deux premiers acteurs du tourisme à Paris. Sa taille critique lui permet de négocier plus facilement avec les agences en ligne », dispose Jean-Marc Scéo. Les fonds pourront profiter des opportunités engendrées par cette crise. « La situation liée au Covid-19 nous conduira, peut-être, à réinvestir plus rapidement qu'initialement prévu dans certaines participations du portefeuille », analyse Fanny Picard. Emmanuel Laillier poursuit, « Nous devons aider les sociétés pour qu'elles soient les plus solides après la crise. Elles seront ainsi mieux positionnées pour bénéficier de nouvelles opportunités ».

Des compléments de financement

Jean-Bernard Lafonta, HLD Groupe

Jean-Bernard Lafonta, HLD Groupe

Jean Bernard Lafonta indique que « grâce à une force de frappe renforcée et à notre modèle singulier de capitaux permanents, des réinvestissements pourront être réalisés au cas par cas notamment pour financer les investissements organiques et/ou pour réaliser des opérations de croissance externe ».Tous les acteurs attendent la reprise avec impatiente et quelques appréhensions. « Nous essayons de soutenir et de préparer ce qu’on espère être un rebond et pas une récession », confie Anthony Dubut qui rêve qu’à la sortie de crise on se pose « les bonnes questions », à savoir celles de l’innovation industrielle et de la production sur le sol national. Mais pour certains, on se prépare déjà à entrer dans le dur. « Nous allons entrer en discussions avec les holdings, annonce un financier. Avec la chute des Ebitda, les entreprises vont devoir élargir leur basket de financement et… les covenants ne seront plus respectés. Pour ce qui nous concerne, nous voulons injecter notre argent dans l’opérationnel, pas dans les holdings pour payer des dettes senior ou des unitranches » « L’important, est d’anticiper pour avoir des discussions calmes et organisées » veut croire un autre investisseur. On envisage déjà des gels des remboursements, la mise en place de compléments de financement moyen terme par les pools de financement… Dans les sociétés qui ont fait l’objet de LBO à « levier modéré », on affiche tout de même moins d’angoisses. « Avec un levier moyen de 2,3 / 2,4 sur l’ensemble de notre portefeuille, la question se pose moins », estime un investisseur du small cap, soulignant que les acteurs bancaires, jusqu’à maintenant, décalent les échéances. « Jusqu’où iront les banques ? » c’est la question qui occupe tous les esprits. Parce qu’en sortie de confinement, il faudra encore trouver le cash pour financer les besoins en fonds de roulement. On ne parle même pas des questions RH qui se poseront alors, ni de la (re)mise en marche des machines. La reprise risque elle aussi d’être compliquée.

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