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Management packages : le Conseil d'État rase-t-il gratis ?

Dans trois décisions du 13 juillet dernier, le conseil d’État veut pénaliser l'investissement des managers français dans leur entreprise. Sans une intervention rapide et intelligente du législateur, cette prise de position aura de lourdes conséquences sur le private equity et la reprise économique.

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Jérôme Commerçon, Scotto Partners

Le Conseil d’État vient de rendre une position de principe très inquiétante sur le traitement des gains des managers, qui ne laisse pas vraiment de place au doute quant à l'issue des prochains contentieux. Ne doutons pas que des inspecteurs zélés n'hésiteront à s'en prévaloir dès les contrôles en cours. Sans une intervention rapide et intelligente du législateur, cette prise de position aura de lourdes conséquences sur le private equity et la reprise économique.

Un esprit chagrin se dirait que la date semblait toute choisie à la veille de célébrer une prise d'assaut emblématique. Dans trois décisions du 13 juillet 2021 (décisions n°428506, 435452, et 437498), dont il semble vouloir assurer la plus grande publicité, n'hésitant pas même à se fendre d'une publication sur son site internet et d'un relais sur les réseaux sociaux, le Conseil d’État a entendu clarifier son point de vue sur les gains réalisés par les managers dans les opérations de private equity. En substance, le Conseil d’État consacre une schizophrénie bien française : ne pas prendre de risque capitalistique dans le cadre d'un plan d'actions gratuites qualifiant, par exemple, c'est la possibilité de pouvoir être imposé dans le régime des plus-values… en revanche, un gain issu d'une prise de risque patrimonial par un manager, c'est du salaire lourdement taxé ! Pour de nombreux acteurs du marché, il apparaissait pourtant relativement acquis, y compris dans les échanges avec l'administration fiscale, qu'une personne souscrivant des instruments financiers à leur valeur réelle et en supportant le risque financier qui y est attaché, prenait à cette occasion un rôle d'investisseur dont les gains (et pertes) en capital relèvent du régime des plus ou moins-values.

Toutefois, profitant de situations relativement caricaturales qui lui ont été soumises, où la souscription des instruments à leur valeur de marché et/ou la prise de risque financier apparaissaient difficilement justifiables, le Conseil d’État s'est fendu d'une position de principe qui aurait pu être presque parfaite si elle n'avait pas inutilement stigmatisé les LBO, pour de nouveau sombrer dans le psychodrame de la requalification des gains en capital en salaires. Ces affaires, en réalité anciennes, concernaient des management packages structurés sous forme de BSA et de promesse avec un prix de souscription ou versement d'une indemnité d'immobilisation que l'on pourrait qualifier de relativement "modique", pour reprendre une terminologie introduite en 2014 par le Conseil d’État (décision du26 septembre 2014, n°365573) qui n'a eu de cesse d'être commentée.

La première partie du raisonnement suivi par le Conseil d’État dans ces trois nouvelles décisions est séduisante et traite la question de l'avantage accordé à l'entrée. Au moment de l'investissement, si des instruments financiers ont été acquis à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle, l'avantage correspondant à cette différence de valeur constitue un élément de salaire imposable immédiatement. Le caractère préférentiel de ce prix reste toutefois sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le salarié ou dirigeant concerné. Il n'est donc pas possible d'extrapoler d'une décote à l'entrée la requalification d'un pourcentage équivalent en salaires à la sortie comme cela a déjà pu être opéré dans le cadre de redressements fiscaux. La seconde partie du raisonnement, au moins sur une revente directe des instruments par leur détenteur, apparaissait tout autant frappée au coin du bon sens : le régime des plus-values s'applique par principe s'agissant d'un investissement en capital par le salarié ou dirigeant, sous réserve de la situation où les gains réalisés apparaitraient en réalité, de façon très exceptionnelle, au regard des conditions de réalisation du gain de cession, comme acquis non à raison de la qualité d'investisseur du cédant mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant. Seule fausse note, et non des moindres, le Conseil d’État considère que les marqueurs des opérations de private equity, (rendement des instruments financiers déterminés en sortie, en fonction de la performance capitalistique du projet ou du fonds d'investissement, clauses d'incessibilité, d'exclusivité, de non-concurrence prévues au pacte d'associés, promesses leavers…) caractérisent l'existence d'un revenu acquis en contrepartie des fonctions de salarié ou de dirigeant.

Le raisonnement, à l'évidence trop simpliste des praticiens pour qui un risque capitalistique pris par le salarié ou le dirigeant était le véritable marqueur de la qualification des revenus, n'était donc pas satisfaisant pour le Conseil d’État. On peine pourtant à comprendre en quoi des clauses d'illiquidité, d'exclusivité et de non-concurrence figurant dans un pacte d'associés, qu'il est logique de prévoir entre associés, en particulier en présence de minoritaire(s), seraient des marqueurs d'un revenu acquis en contrepartie d'un travail. N'oublions pas, par ailleurs, que dans les opérations de LBO, les managers se voient en principe attribuer une rémunération normale sous forme de salaire fixe et variable pour leur travail. Ce n'est que dans le cadre du management package et de leur investissement leur permettant d’acquérir la qualité d’associé, avec les droits et obligations qui y sont attachés et entraînant une prise de risque financier qu'ils sont appelés à espérer un gain en capital. A cet égard, les clauses de leaver ne peuvent pas créer de gains mais uniquement limiter ces derniers. Enfin, la valeur des instruments financiers est décorrélée des performances individuelles des managers investisseurs.

Si le Conseil d’État a souhaité lancer un pavé dans la marre, il n'est pas certain qu'il ait anticipé le tsunami économique que sa prise de position va entraîner. En réalité, ce ne sont pas uniquement les LBO qui vont être éclaboussés, mais bien toute l'économie du capital investissement et du non-coté, y compris les futures licornes chères à l'exécutif , pour lesquelles des mécanismes similaires existent. Après les incertitudes apparues en matière de cotisations sociales en 2019 (Cass. Civ, 4 avril 2019, n°17-24.470), la position prise par le Conseil d’État qui aboutit à une véritable insécurité pour toutes les situations où il existe un lien entre l’investissement en capital et le statut de manager doit interpeller tous les acteurs économiques et du capital investissement. Cette prise de position interpelle d’autant plus qu’elle apparait à rebours du mouvement de fond porté par le président de la République depuis 2015 pour soutenir la prise de participation des salariés dans le capital de leur entreprise.

Avant que la dynamique vertueuse du private equity français ne se grippe au plus mauvais moment et avant que l'attractivité du territoire national ne soit sérieusement écornée, nous suggérons une solution simple au législateur. Le Conseil d’État a bâti la première partie du raisonnement en clarifiant la question du traitement fiscal de l'avantage identifiable à l'entrée. Pourquoi ne pas introduire en droit français un mécanisme sensé et efficace, similaire à celui applicable aux États-Unis (83(b) election) et en Angleterre (S431 election), qui permet de sécuriser le régime des plus-values malgré l'existence d'un lien entre l'investissement en capital et le statut de manager, en se déclarant aux administrations à l'entrée et en acquittant immédiatement l'impôt sur toute décote obtenue sur le prix d'acquisition des instruments ?

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