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Le vin de la semaine : Château Putille, les délices d’un vin démodé


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Attention breuvage d’esthète ! Dans un monde viticole standardisé, il existe encore quelques bouteilles surprenantes sorties de nulle part. Ou plutôt sorties d’un passé révolu. Celui dans lequel les vignerons de Loire se faisaient plaisir avec un Cabernet d’Anjou rosé liquoreux. On sortait ces liqueurs à la fin de repas familiaux pour faire plaisir à grand-mère. Souvent mauvais, ces Cabernets d’Anjou rosés sont devenus très ringards. Plus personne, même en Maine et Loire n’en boit. Raison de plus pour s’en régaler de nouveau.

Fraicheur et pureté

Nous étions partis sur une dégustation du domaine Château de Putille tenu par Pascal Delaunay à Pommeray. Ce vigneron vinifie une kyrielle de cuvées sympathiques des crémants de Loire, du sauvignon, du cabernet sauvignon, du gamay, du chenin. Elles sont toutes très biens faites, toutes marquées par les sols schisteux d’ardoises. Allez-y les yeux fermés, ce vigneron se donne vraiment du mal pour sortir des bouteilles d’une grande pureté et d’une belle fraicheur. On peut tout commander sans avoir peur de se ruiner : les prix s’établissent entre 5 et 8 euros selon la cuvée. Mais bon, c’est sympathique mais pas inoubliable.

La patience, toujours la patience. Dans une dégustation, c’est le final qui détermine le souvenir. Le vigneron est sensé alors sortir la belle cuvée, celle que l’on attend depuis le début, celle qui vous a fait venir. Mais franchement là, quand on m’a annoncé : pour finir je vous ai sorti un petit Cabernet d’Anjou rosé, j’ai esquissé un refus poli ; non merci, j’ai peut-être déjà un peu trop abusé ! En fait, je n’avais aucune envie de me taper une vinasse rosée trop sucrée ! Je n’ai pas encore atteint l’âge du petit verre de liquoreux avec son biscuit.

C’était Kafka sur le Rivage

D’autant que le flacon n’était pas prometteur. Une demi-bouteille avec une étiquette en métal bosselé, qui semblait sortir tout droit d’une brocante paroissiale. Mais je ne remercierai jamais assez ma pauvre mère qui a fait de moi un garçon poli. Je tends donc mon verre et y reçoit un breuvage de couleur orangé plus proche d’une Suze que d’un grand cru bordelais. Heureusement je ne suis pas seulement poli mais aussi curieux. J’y approche donc mon nez. J’ai alors eu la délicieuse impression d’un léger décrochage du temps. D’une infime fracture. En humant ce breuvage, j’avais l’impression de soulever une pierre me donnant accès à un monde merveilleux. C’était Kafka sur le Rivage, le chef d’œuvre du génial Haruki Murakami.

Le Noctambule à Montmartre

Du verre sortait un nez de pamplemousse, de sucre de canne caramélisant doucement dans une bassine en cuivre. Le Cabernet d’Anjou botrytisé de cette cuvée Ambre est l’égal des meilleurs Sauterne en sensations et complexité. Je me laissais bercer par cette liqueur qui me rappelait une compote de poire dégustée encore chaude. C’est donc déjà conquis que je tendis mon verre pour le bouquet final. La cuvée Pierre Carrée. Ce liquoreux tire son nom du sol de schiste volcanique qui se fragmente en grandes plaques. Le nez de miel et de fruits exotiques laisse ensuite la place à une bouche assez vive et fraiche, grâce à l’acidité du sol. Légèrement embué, nom de cette cuvée me transportait à Montmartre, la nuit où Pierre Carré, l’inoubliable chanteur du Noctambule, nous a donné un dernier récital. Fatigué, il était remonté sur scène par amitié pour mon ami Louis. Des années plus tôt, au temps de sa splendeur, il faisait danser la foule du 14 juillet, beau comme chanteur de Mexico.

  • Château de Putille cuvée Ambre 50 CL : 21 euros
  • Château de Putille cuvée Pierre Carrée : 11 euros

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