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Pacte Dutreil et LBO : comment combiner les deux dispositifs ?

Le Pacte Dutreil qui fête ses 20 ans cette année semble peu compatible avec les opérations à effet de levier. Néanmoins, le législateur ainsi que la pratique permettent la réalisation d’opérations sous certaines conditions.

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Bertrand Hermant, Lamartine Conseil

Le pacte Dutreil permet aux associés et aux actionnaires de bénéficier d’une exonération partielle non plafonnée à concurrence de 75% de la valeur des titres transmis pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit (droits de donation / succession), aboutissant à un taux effectif d’imposition de l’ordre de 3 à 6% en moyenne. L'application de ce régime suppose le respect de trois conditions :

• Un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de 2 ans souscrit par le dirigeant et d’autres associés portant sur au moins 17% des droits financiers et 34% des droits de vote en présence d’une société non cotée. Cet engagement doit être en vigueur au moment de la transmission. En pratique, l’engagement collectif peut être réputé acquis si le donateur était dirigeant de la société depuis au moins deux ans et détenait seul ou avec son conjoint les seuils permettant de conclure un engagement collectif. Ceci vient alors limiter la durée de l’engagement Dutreil à quatre années (qui autrement serait de six ans).

• Un engagement individuel de conserver les titres transmis pendant une durée de 4 ans à compter de la date d’expiration de l’engagement collectif de conservation. Cet engagement est pris par chacun des donataires ou héritiers au jour de la transmission.

• L'exercice d'une fonction de direction par l'un des signataires de l'engagement collectif. Cette fonction de direction doit être exercée par l'un des associés ayant signé le pacte avant la transmission puis par l'un des donataires ayant pris l'engagement individuel de conservation. La fonction de direction doit être exercée (i) pendant toute la durée de l’engagement collectif de conservation (2 ans) et (ii) pendant les trois années qui suivent la date de transmission.

Une opération de LBO semble en apparence peu compatible avec une transmission de titres dans le cadre d’un Pacte Dutreil qui repose sur une stabilité de l’actionnariat sur une longue durée. Cette difficulté à combiner les deux dispositifs se rencontre aussi bien lorsque la transmission est réalisée préalablement à l’opération de LBO ou à l’inverse est réalisée pendant la durée de vie du LBO. Les textes et la doctrine administrative facilitent néanmoins la réalisation de certaines opérations alors que la pratique a développé certains schémas alternatifs permettant de pallier les carences législatives. 

I- Signature d’un pacte Dutreil avant la réalisation d’une opération de LBO

La mise en place d’un Pacte Dutreil interdit en principe toute cession portant sur les titres pendant un délai de six ans. Une telle interdiction semble logique compte tenu de l’esprit du dispositif qui vise à assurer une stabilité des actionnaires. La réalisation d’une opération de LBO classique consistant notamment à racheter les titres de certains actionnaires (qu’ils soient ou non soumis aux engagements pris dans le cadre d’un Pacte Dutreil) est donc exclue. 

Des assouplissements ont néanmoins été apportés au régime afin de permettre de réaliser un apport des titres soumis à un engagement de conservation sans crainte d’une remise en cause du bénéfice du régime fiscal de faveur. 

En effet, l’article 787 B du Code Général des Impôts permet de réaliser un apport de tout ou partie des titres soumis à un engagement à une holding de reprise (« NewCo ») dès lors que les conditions suivantes sont réunies : 

• L’apport à NewCo des titres donnés peut être fait à tout moment (aussi bien pendant la durée de l’engagement collectif que l’engagement individuel) ; 

• Le capital social de NewCo pourra être détenu par des tiers à hauteur de 25% permettant alors de faire rentrer un fonds d’investissement au capital, son investissement pourra en outre être complété par la souscription à des obligations convertibles ; le reliquat (soit les 75% restants) devant être détenu par les bénéficiaires de l'exonération partielle ou par les signataires de l'engagement collectif (incluant le donateur). L’entrée d’un investisseur tiers facilitera ainsi la transmission de certaines entreprises en venant limiter l’endettement de la holding ; 

• La NewCo ne doit pas avoir pour objet exclusif de détenir les titres apportés, mais peut exercer une autre activité, la seule contrainte étant que les titres soumis à cet engagement représentent plus de 50% de la valeur réelle de l’actif brut de la holding. Ceci permettra alors « d’activer » la holding afin de récupérer la TVA acquittée dans le cadre de l’opération. 

Transmettre les titres dans le cadre d’un Pacte Dutreil Transmission ne fait donc pas obstacle à l’entrée d’un investisseur financier pendant la période de conservation pourvu que celui-ci soit minoritaire. Il est toutefois recommandé de transmettre rapidement afin de faire courir les engagements et accessoirement de sécuriser la transmission de l’entreprise sur la base d’une valorisation a priori plus faible. 

II- Signature d’un pacte Dutreil après la réalisation d’une opération de LBO 

La mise en place d’un Pacte Dutreil semble incompatible avec une opération de LBO en raison des contraintes liées à la durée de détention. 

En effet, à supposer que le Pacte Dutreil porte sur les titres de la holding d’acquisition (ayant la qualité de holding pure ou animatrice), toute cession de titres dans un délai de 6 ans entraînerait une remise en cause du Pacte. Or, les actionnaires se trouvent généralement contraints de céder leurs titres dans un horizon de liquidité de 3-6 ans aux termes des accords conclus avec l’investisseur financier. 

Plusieurs exceptions sont prévues dans la législation afin de mener ce type d’opération. On présentera ici les plus utilisées ainsi que les contraintes de chacune d’entre elles.  

L’engagement réputé acquis : La première qui a déjà été exposée consiste à invoquer le bénéfice d’un engagement réputé acquis permettant alors de réduire la durée d’engagement à 4 ans, plus compatible avec la durée de l’investissement d’un investisseur financier. En pratique, une telle option n’est pas forcément toujours envisageable dans la mesure où elle implique l’exercice immédiat d’une fonction de direction éligible par l’un des héritiers, donataires ou légataires.

La constitution d’une holding animatrice familiale tête de groupe : La seconde option est de faire en sorte que la cession, directe ou indirecte, des titres de la société opérationnelle puisse être envisagée à tout moment. En pratique, il pourrait être envisagé de loger les titres de l’actionnaire souhaitant mettre en place un Pacte Dutreil dans une holding familiale qui aura pour seul objet de détenir les titres de la NewCo dans laquelle un nouvel investisseur souscrira au capital. Ce sont donc les titres de cette holding familiale et non ceux de la NewCo qui seront transmis. Dans ce schéma, la holding familiale devra ici avoir vocation à exercer une activité de holding animatrice du groupe ce qui supposera notamment qu’elle contrôle seule la NewCo. Cette structure, qui parait de prime abord efficiente, ne semble pas pour autant complètement sécurisée au plan fiscal dans la mesure où une holding animatrice a vocation à détenir des titres de sociétés exerçant une activité commerciale et non exerçant une activité de holding. Or, le schéma présenté conduit à ce que la holding familiale animatrice détienne les titres d’une holding qui va elle-même faire l’acquisition de la cible/société opérationnelle. Ainsi, la holding familiale animatrice ne détiendra pas directement les titres d’une filiale opérationnelle. 

Des clarifications attendues

Le projet de loi de Finances pour 2024 actuellement en discussions devrait clarifier ce point en précisant qu’une holding animatrice doit s’entendre comme une société « ayant pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de leur groupe constitué de sociétés contrôlées directement ou indirectement (soulignée par nos soins), exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, et auxquelles elles rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ». La mise en œuvre d’un tel schéma suppose ainsi de sécuriser le caractère animateur de la holding familiale et de veiller à ce que cette holding familiale contrôle exclusivement le groupe. A défaut, il pourrait être envisagé de démontrer l’existence d’un contrôle conjoint étant précisé que l’administration fiscale se montre réticente à admettre un tel contrôle. 

Cette solution permettrait alors en pratique à la holding familiale de céder les titres qu’elle détient sans risque de remise en cause du Pacte Dutreil. Elle supposerait néanmoins d’être en mesure de démontrer que la holding familiale peut être considérée comme une holding animatrice (excluant ainsi toute transmission immédiatement après l’apport afin de démontrer son caractère animateur dans la durée) et qu’elle soit en mesure de réinvestir le produit de cession des titres dans d’autres sociétés qui seront animées (sauf à ce que cette cession intervienne après la durée des engagements). 

Le Pacte Dutreil a dorénavant atteint l’âge de la maturité. Il n’en demeure pas moins que ce régime nécessiterait des précisions et clarifications afin de renforcer son attrait qui est encore source de trop nombreuses zones d’ombres.  

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