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Les fonds d’investissement et la nécessité de revoir leur rôle dans le restructuring

Dans le choix de leurs investissements, les fonds français doivent impérativement changer la vision négative qu’ils ont des procédures collectives pour rester compétitifs. Aux Etats-Unis par exemple, notamment depuis la crise de 2008, les fonds participent systématiquement aux opérations de restructuring par le biais du Chapter 11. Bien que dotés d’un cadre législatif similaire, nous sommes aujourd’hui toujours trop frileux face aux opportunités de reprise d’entreprises en difficulté.

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Vina Rizzo & Jordan Le Gallo, Cohen Amir Aslani

Alors que nous nous attendions tous à une hausse exponentielle du nombre d’entreprises en cessation des paiements, la Banque de France, en juillet 2020, nous indique avec surprise que les défaillances d’entreprises ont diminué de 28,2% par rapport à l’année précédente.

En réalité ces chiffres sont trompeurs en raison tant (i) du confinement et du délai de trois (3) mois supplémentaires pour déclarer l’état de cessation des paiements que (ii) des nombreuses mesures gouvernementales ayant pour objectif de maintenir les emplois et les entreprises à flot. 

Ainsi, l’explosion du nombre d’entreprises en difficultés ne serait que partie remise. Selon la sensibilité de leur activité ou actif au cycle économique, il deviendra bientôt impossible pour certaines entreprises de payer les échéances de leurs crédits ou de respecter les ratios financiers stipulés aux documents de financement (ratio de couverture des frais financiers, ratio de couverture du service de la dette, ratio de levier, ratio LTV). D'autres cas de default pourront par ailleurs survenir de manière plus précoce : évènement significatif défavorable, arrêt partiel ou total de l'activité…les sociétés ne pourront plus, avec leur actif disponible, faire face à leur passif exigible (que ce soit les dettes à court terme finançant le BFR ou les dettes à moyen et long termes finançant un cycle d’investissement) dans les mois à venir, notamment en raison de l’atténuement des mesures d’aide gouvernementale. La profonde récession qui frappe l’économie française va laisser des traces. Que pouvons-nous faire pour limiter la casse ? L’un des moyens dont peut s’armer une société pour faire face à une insolvabilité est la restructuration de sa dette, c’est-à-dire la consolidation partielle ou totale de ses dettes. Aujourd’hui, en France, cette opération vise généralement à réduire les paiements mensuels grâce à un rééchelonnement de la dette et/ou à un taux d’intérêt moins élevé. 

En France, une telle opération est l’apanage des banques. Aux Etats-Unis au contraire, et ce depuis les années 2000 et plus encore après la crise de 2008, la désintermédiation bancaire lors des restructurations de dettes se traduit par un rôle plus important des fonds d’investissement, appelés « Sponsors », dont l’efficacité est redoutable. Pour ce faire, elles utilisent la procédure relative à la « réorganisation » des entreprises en difficulté définie dans le Chapitre 11, Titre XI, de la loi fédérale applicable sur l’ensemble du territoire (United States Bankrupcy Code) (« Chapter 11 ») permettant à des entreprises en difficultés financières d’optimiser la restructuration financière et opérationnelle de leurs activités. On parle ainsi de « reorganization bankruptcy ». 

Grossièrement, nous pourrions rapprocher la procédure américaine de notre procédure de sauvegarde voire de redressement judiciaire dont l’objectif est de favoriser la réorganisation de la société en difficulté en établissant un plan de sauvegarde/redressement en concertation avec les différents créanciers de l’entreprise aux fins d’éviter la liquidation.

Cette méthode de restructuration n’est pas anodine et oblige les fonds d’investissement à sortir de leur « zone de confort », raison pour laquelle elle reste encore peu utilisée en Europe. En effet, dans cette pratique de restructuration, un fonds d’investissement va activement rechercher une société cible répondant aux critères du Chapter 11 afin de proposer un plan de réorganisation par lequel le fonds va (i) rembourser les dettes de la cible, (ii) devenir le créancier unique de celle-ci, (iii) convertir sa dette en capital, (iv) réorganiser le fonctionnement de la société puis (v) la revendre dans les cinq (5) années maximum une fois qu’elle aura été revalorisée. 

Cette procédure de restructuration implique donc, pour le fonds d’investissement, de participer à la vie même de la société cible, notamment en remplaçant son management. La procédure de restructuration engage un changement de paradigme avec le passage d’un investissement pur en equity vers la création d’une dette consolidée (« bound debt ») dans le cadre d’un plan de réorganisation devant le tribunal.

Grâce au financement apporté par un fonds d’investissement, les entreprises actuellement en crise pourraient ainsi être en mesure de satisfaire leurs obligations vis-à-vis de leurs clients, distributeurs et salariés. Avec une nouvelle structure de capital et un niveau de dette réduit, elles disposeraient également des capacités pour transformer en profondeur leurs activités et dynamiser leurs produits, leur permettant d’être plus fortes et mieux armées pour croître et se développer.

De très nombreuses enseignes ont déjà eu recours à cette procédure de restructuration. Quiksilver Inc., la branche américaine de la célèbre marque de surfwear a annoncé la restructuration financière et opérationnelle de ses activités sur le territoire américain dans le cadre du Chapter 11, procédure approuvée par 73 % des détenteurs de dette senior et qui va lui permettre de bénéficier des mesures de sauvegarde. Quiksilver Inc. s'appuiera ainsi sur un nouvel investisseur, un fonds d'investissement, qui injectera près de 160 M€. Le plan de reprise (Plan Sponsor Agreement) prévu avec le fonds d’investissement donnera à l'entreprise les moyens de poursuivre ses activités et de se réorganiser. Le fonds d’investissement, qui a donné son accord pour apporter le financement nécessaire à la mise en œuvre du Chapter 11, convertira ses créances sur l'entreprise en actions majoritaires dans la future entité réorganisée. Il faut dès à présent sortir de cette idée trompeuse qu’une entreprise en difficulté est indubitablement vouée à disparaitre, loin de là. L’ouverture d’une procédure sous Chapter 11 ou, en France, d’une procédure de sauvegarde/redressement peut au contraire avoir un effet bénéfique pour la société cible. En restructurant sa dette, la société en détresse va pouvoir rembourser une partie de ses créanciers afin de recommencer sur de nouvelles bases, plus fortes. Ceci est d’autant plus vrai avec la crise sanitaire actuelle. En effet, certaines entreprises pertinentes sur leur marché ont des fournisseurs et des clients solides et n’ont été mises en difficulté à cause de la Covid-19 qu’en raison d’un manque de trésorerie à court terme, et non pas à cause de problématiques structurelles plus profondes et difficiles à résoudre.

Une étude de McKinsey & Company a révélé que les entreprises en détresse ayant recours à la participation d’un fonds d’investissement récupèrent plus rapidement les marges EBITDA. En outre, un fonds d’investissement ayant un portefeuille d'entreprises en difficultés ou un historique marqué dans ce domaine peut tirer parti des stratégies fructueuses utilisées lors d'investissements antérieurs au profit de la société cible. Une équipe de gestion expérimentée dans des situations particulières limite ainsi le travail d'estimation nécessaire à un redressement. Mais les différentes étapes de cette pratique sont-elles transposables en France ?

1ère étape : La recherche d’une société cible (« PE-backed company »)

Dans cette méthode de restructuration, le plus difficile est bien évidemment de trouver la société cible dont les actifs pourront être revalorisés « facilement » par le fonds d’investissement. La pandémie de la Covid-19 devrait à ce titre offrir de nombreuses opportunités en ce que le confinement a entrainé l’effondrement brutal de la trésorerie de certaines entreprises qui par ailleurs fonctionnaient très bien, la procédure collective s’approchant à grands pas à cause de dettes à court terme qui ne peuvent pas être remboursées immédiatement sans activité parallèle. Toutefois, attention à ne pas trop se précipiter. La réalisation d’audits est nécessaire avant de se lancer dans une telle aventure. Si l’activité de la société ne peut pas repartir parce que les parties prenantes, fournisseurs, clients, etc. ne peuvent plus assurer les commandes, la restructuration de la dette de la PE-backed company serait vouée à l’échec.

Cette étape est donc particulièrement cruciale et conditionne nécessairement la bonne marche de la restructuration à suivre.

Aux Etats-Unis, la procédure du Chapter 11 peut être ouverte sur demande de la société cible (« voluntary petition ») ou de créanciers (« unvolontary petition ») répondant cependant à des critères stricts. Dans sa demande, le débiteur peut également indiquer un plan de restructuration ou a minima sa volonté de réorganiser sa société. La petition peut être réalisée sous la forme ou non d’un « debtor in possession » indiquant ainsi si le dirigeant reste en place ou si le tribunal nomme un trustee. Le droit américain ne définit cependant aucun critère précis quant à l'importance des dettes contractées pour pouvoir ouvrir cette procédure, le juge exerçant parfois, en pratique, un contrôle de la légitimité de la demande. Au contraire, en France, si un créancier peut saisir le tribunal par assignation en vue de l’ouverture d’une procédure de redressement, cette possibilité ne lui est pas offerte dans le cas d’une procédure de sauvegarde. Dans tous les cas et à l’instar du Chapter 11, l’objectif de la sauvegarde/redressement est d’aboutir à un plan. A noter que dans le délai entre le jugement d’ouverture de la procédure et la fixation du plan, les dettes antérieures à l’ouverture de la procédure sont gelées.

2ème étape : La négociation avec les créanciers

La procédure de restructuration fait intervenir des comités de créanciers (creditors' and equity security holders' committees), institués dans chaque affaire par un représentant du ministère de la Justice (US trustee) et chargés de convenir avec le débiteur d'un plan de réorganisation permettant à terme le règlement de ses dettes. La constitution d'au moins un comité, rassemblant les créanciers titulaires des sept créances les plus importantes, est obligatoire. La création d'autres comités est laissée à l'appréciation du juge dans chaque cas d'espèce.

A l’instar du Chapter 11, dans le cadre de la procédure de sauvegarde/redressement française se crée, obligatoirement ou facultativement sur demande au juge commissaire, un comité des créanciers qui aura pour objectif d’étudier la situation du débiteur, négocier et voter le plan, le cas échéant. La majorité des créanciers composant ce comité sont des unsecured creditors, c’est-à-dire, des créanciers sans sûreté. Les autres seront, les equity security holders et les secured creditors.

Lors d’une mise sous Chapter 11, le débiteur aura cependant l’exclusivité pour proposer un plan et ce pendant un délai de 120 jours sauf extension à 180 jours. Si aucun plan n’est arrêté d’ici là, le comité des créanciers ou un créancier, seul, pourra proposer un plan. Ainsi, un fonds d’investissement pourra sponsoriser un plan de réorganisation.

Pourquoi accepter l’investissement par un fonds et non la restructuration par une banque classique ? Tout simplement parce que les banques n’accepteront probablement pas de prêter ou en tout cas pas à des conditions aussi avantageuses que pourrait le faire le fonds d’investissement, qui a déjà pour vision d’obtenir des titres et de réorganiser structurellement la société.

Pour cela, le fonds lui-même ne va pas rembourser l’intégralité des dettes du débiteur avec ses fonds propres mais bien en utilisant la technique de l’effet de levier (« leverage buy out »), en empruntant auprès d’une banque. Le fonds jouera ainsi le rôle d’écran auprès de la banque qui sera plus enclin à lui prêter qu’à prêter directement à l’entreprise en difficulté.

Pourquoi le chef d’entreprise devrait-il accepter l’ingérence d’un fonds d’investissement dans la gestion de sa société ? Il n’est pas de la vocation première d’un fonds d’investissement de gérer les affaires courantes d’une entreprise mais juste à en contrôler les grandes orientations par le biais du management package. Cette pratique du Chapter 11 par les fonds d’investissement change la donne. Il convient donc de distinguer entre les chefs d’entreprises intéressés par un pay out, leur permettant ainsi de recevoir une somme d’argent et de quitter la société et ceux souhaitant au contraire garder la main mise sur leur société et refusant toute ingérence extérieure. Des négociations doivent être initiées avec le fonds en question pour connaitre ses intentions et délimiter sa marge de manœuvre.

Pourquoi les créanciers devraient-t-ils accepter d’être remboursés par un fonds d’investissement ? Si la société est en difficulté, il est possible que certains créanciers ne soient jamais remboursés. Les créanciers prioritaires ou détenant des sûretés le seraient probablement, mais pas les créanciers chirographaires. Il est donc préférable qu’un accord soit trouvé afin qu’ils aient tous une part du gâteau, ce que n’accepteront probablement pas les secured creditors car leur remboursement sera inférieur au montant réel de leur créance.

Même en France, les créanciers peuvent proposer un plan alternatif à celui émis par le débiteur dès lors qu’existe un comité de créanciers.

Lorsque tous les créanciers et la société seront en accord, ils procèderont à la signature du plan. En pratique les secured creditors sont rarement en accord avec le plan. Les créanciers chirographaires au contraire seront plutôt en faveur car ils s’assurent un paiement, même moindre de la leur.

Une fois le plan arrêté, les créanciers sont remboursés et la société peut sortir de sa bankruptcy.

3ème étape : la conversion de la dette en equity

Une fois la dette restructurée, le fonds d’investissement va apporter sa créance lors d’une augmentation de capital afin d’obtenir des titres. L’objectif à terme étant de le revendre avec une plus-value. L’implication du fonds a également un avantage, il souhaite d’autant plus que la société survive et croit. En effet, cette conversion implique nécessairement des demandes de réorganisation de la part de ce dernier (modification de l’activité, du management, carve-out, etc.).

Le Code de commerce permet même, dans le cas d’un plan de redressement judiciaire, de forcer l’entrée d’un nouvel associé au capital social de la société débitrice, par compensation de la créance, dès lors que les associés actuellement en place n’ont pas la possibilité de reconstituer ledit capital social et ainsi de contourner toutes les clauses d’agrément, de droit préférentiel de souscription, etc.

Une fois la réorganisation structurelle de la société cible et la reconstitution réussie de ses fonds propres, le fonds d’investissement revendra ses titres avec la plus-value la plus importante possible.

Mais si ces procédures du Chapter 11 et de procédure de sauvegarde/redressement sont similaires, pourquoi la France n’a-t-elle pas connue un boom de ces opérations de restructuration ? Il s’agit principalement ici d’une question de perception des procédures collectives en France qui s’apparentent à un échec couplé à une absence de volonté des fonds d’investissement de s’inscrire dans la gestion courante de la société cible. 

Contrairement aux idées reçues, l’analyse économétrique du parcours des entreprises entrées en procédure collective entre 2008 et 2020, en particulier pour les procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde, démontre que le traitement des entreprises en difficultés financières est une source d’efficacité économique plutôt qu’un soin palliatif.  

Ces entreprises doivent avoir le droit, sans rougir, de renégocier leur dette pouvant les relancer sur le marché. Plus encore, c’est la capacité du système judiciaire français à l’instar du système américain à orienter rapidement les entreprises qui sera cruciale pour l’efficacité du droit de l’insolvabilité. 

Pour conclure, cette vision archaïque des procédures collectives devra changer notamment en raison de la crise très particulière que nous subissons actuellement, qui ne pouvait légitimement être prévue par les dirigeants, surtout si les fonds français veulent rester compétitif face aux investisseurs étrangers toujours plus gourmands lorsqu’il s’agit de racheter nos entreprises françaises. Aussi, le boom des ouvertures de procédures collectives attendu depuis la fin du confinement a entrainé des réactions immédiates de la part du Gouvernement afin de protéger les entreprises en difficultés face aux investisseurs « hostiles ». C’est ainsi qu’en avril 2020, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a évoqué l’idée de réduire le seuil de déclenchement du contrôle par l’Etat des investissements d’acteurs non européens de 25% à 10%. Aujourd’hui, la manœuvre de l’Etat est claire, protéger nos entreprises françaises. Dans le même temps et même si ce changement de vision culturel évolue doucement, peut-être serait-il bon que les acteurs français privés de l’investissement se saisissent de cette opportunité pour soutenir des entreprises en difficultés qui méritent d’être sauvées.

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